A l'heure des réseaux sociaux, du Cloud Computing, du déploiement de la fibre optique ou de celui de la 4G et du tout en réseau, il est légitime de se poser la question des risques d'une telle construction de la société moderne. Evidemment, je suis utilisateur de toutes ces technologies et je ne reviendrai donc pas sur leur dimension utilitaire certaine et leur valeur hédonique possible. L'idée est ici davantage de se sensibiliser à la fragilité (dangerosité ?) de ce "tout en réseau".
Dans les sociétés modernes, de nombreux réseaux vitaux passent le plus souvent inaperçus : le réseau d'eau potable, le réseau électrique, le réseau de pipelines, le réseau de gazoducs, les réseaux télécoms, le réseau de transports, etc. Ces réseaux pourtant font parfois la une des journaux quand à l'occasion de grèves, les axes routiers sont bloqués asphyxiant les supermarchés en une petite semaine ou quand à la faveur d'une panne de coeur de réseau les utilisateurs de BlackBerry se retrouve "isolés" du monde, ou encore quand le réseau électrique est l'objet d'un blackout pour plusieurs milliers de gens suite à des lignes coupées, etc. Généralement tout cela rentre dans l'ordre en quelques jours. Toutefois il est peu évoquer la fragilité du réseau de réseaux...
Exemple : imaginer une coupure d'une ligne haute tension en mer du nord qui provoquerai des pannes dans le réseau électrique, qui du coup déséquilibrerait les flux du réseau en faisant sauter des lignes dans le pays, ce qui engendrerait un black-out auprès de millions de foyers et entreprises, dont les locaux techniques des opérateurs télécoms qui ne pourraient plus faire fonctionner leur réseau de communication, dont dépendent souvent de multiples installations : alarmes, internet, synchronisation de données en mobilité, etc. Ce scenario n'a rien d'impossible car en cherchant sur le net, vous pourrez constater que le 28 septembre 2003, l'opérateur télécom italien a eu du mal à redémarrer le réseau faut d'électricité, que le 4 novembre 2006 une coupure de ligne en Mer du Nord a engendré des pannes électriques dans le réseau marocain après avoir créé des défaillances en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Croatie, pour toucher 450 millions de personnes au total dans une petite dizaine de pays.
La fragilité du réseau de réseaux provient très clairement de quelques "évidences" : 1/ un entrecroisement de plus en plus fort : une tempête climatique un peu plus forte engendre des coupures d'électricité forte, le réseau électrique tombe... donc les points de pompage et de retraitement de l'eau cessent de fonctionner, l'eau vient à manquer... or cette eau est nécessaire à la population mais au refroidissement de composants de réseaux télécoms comme à la protection incendie (Montréal, 9 janvier 1998).
2/ une interconnexion mondiale : Internet n'est pas le premier transnational, les pays européens ont commencé à interconnecter les réseaux électriques dès 1951 pour mutualiser les réserves de production de secours, faciliter l'écoulement de la production excédentaire (on ne stocke par l'électricité), et mieux gérer les pics de consommation qui sont différents du nord au sud de l'Europe. Toutefois les câbles électriques sous-marin sont à la merci des bateaux de pêche, des ancres, des glissements de terrain, etc. Sans compter les contraintes techniques liées à cette interconnexion : les experts estiment que nous ne sommes plus très loin du moment où les inconvénients de l'interconnexion électrique seront supérieurs aux avantages procurés.
3/ la concentration des noeuds : que ce soit en des points névralgiques (hubs) ou le long de colonnes vertébrales multi-modales (ie électrique, télécom, eau, dans de mêmes galeries), les experts estiment que supprimer 5 à 15% de ces points et les réseaux peuvent être mis à plat. Cette concentration se comprend d'un point de vue économique, mais elle se discute plus d'un point de vue sécuritaire.
4/ les opérateurs de ces réseaux sont multiples et peu coordonnés : les monopoles d'état ont fait place à de multiples structures privées qui ne pilote leur réseau qu'en fonction de leurs objectifs propres.
5/ aucune cartographie précise d'interdépendance de réseaux n'existe, ce qui en rend d'autant plus difficile l'étude.
6/ la logique de flux tendus, cohérente avec les contraintes économiques de notre monde, engendre une réduction forte des stocks (alimentation, pétrole, eau, etc.) ce qui donne très peu de marges de manoeuvre en cas d'incident.
7/ la fragilité risque de s'accroître avec la mise en place de "smart-grid" où le réseau électrique par exemple sera "piloté" par de la remontée d'information des compteurs électriques. Sur le papier c'est très intéressant, dans la pratique, que faire en cas d'absence de remontée d'information, ou d'information erronée ?
La mise en place du Cloud Computing fait réfléchir sur le rôle de l'emplacement des données stratégiques, mais plus globalement c'est la mise en réseau de tout avec tout qui est le point crucial de réflexion. Cette réflexion est elle assez récente puisqu'en France la liste des secteurs d'activité d'importance vitale ne date que de juin 2006... gageons que la réflexion avance vite pour limiter au mieux des dégâts qu'il est encore très difficile d'envisager. Mais heureusement, Fukushima nous a montré que le pire, même le plus improbable, est à envisager. Cela nous amène à envisager (sur le papier encore) une garnison de super pompiers pour protéger nos centrales nucléaires (voir ici), mais poussons la réflexion au maximum tant l'interdépendance des réseaux est forte !
Source : cette idée d'article est issue de la lecture de l'excellent dossier sur le sujet dans Science & Vie n°1126 de Juillet 2011, suite aux tentatives malheureuses de mon opérateur de poser la fibre optique dans l'immeuble, et à la news sur le stress test d'une centrale nucléaire EDF annonçant la création de la super-brigade de pompiers