Par Cécile Maillard - Publié le
ENTRETIEN Expert des relations sociales, proche de la CGT mais intervenant aussi auprès des employeurs, Pierre Ferracci, président du groupe Alpha, a l’oreille de plusieurs participants à la conférence sociale des 9 et 10 juillet. Il nous livre ses attentes.
Un pied auprès des salariés, un autre auprès des employeurs... Le groupe Alpha que dirige Pierre Ferracci abrite Secafi, cabinet spécialisé dans l'accompagnement des comités d'entreprise, et Sodie, conseil des employeurs pour leurs reclassements. Ce proche de la CGT, mais aussi de Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, s'est vu confier une mission sur la formation sous le quinquennat précédent. Il est aujourd'hui très écouté dans les cabinets ministériels. Homme de l'ombre de la conférence sociale, Pierre Ferracci attend surtout de ce rendez-vous un retour de la confiance et de la négociation.
L'Usine nouvelle - Qu'attendez-vous d'une telle rencontre ?
Pierre Ferracci - Une nouvelle méthode de gestion des enjeux économiques et sociaux avec les partenaires sociaux. Je ne sais pas s'il est nécessaire d'inscrire la notion de démocratie sociale dans la Constitution, comme le propose le président de la République, mais il faut trouver une méthode qui permette de mieux préparer les réformes. Une méthode qui resterait valable quelle que soit la conjoncture, et mènerait à l'équilibre entre démocratie politique et démocratie sociale.
Cette conférence tombe à point, car les temps vont être difficiles, et il va falloir mettre plus de justice et d'équité dans les efforts. La meilleure façon de faire face aux difficultés est de rétablir la confiance entre acteurs, entre syndicats et patronat, syndicats et gouvernement, gouvernement et patronat...
Le facteur confiance est un élément essentiel pour aborder cette crise. En son absence, le législateur empiète sur le domaine des partenaires sociaux. Je crois en son rôle de régulateur incitatif pour développer une démocratie sociale.
Quelle serait la première réforme à mener pour aller dans ce sens ?
L'Etat doit inciter les partenaires sociaux à négocier, plutôt que de laisser la loi se substituer à l'absence de négociations. Pour anticiper les restructurations, il faut encourager à négocier le plus tôt possible, quand il reste une marge de manœuvre. C'est un problème de confiance : les entreprises ont peur d'annoncer en amont leurs difficultés, et les syndicats, s'ils sont informés, craignent d'être soupçonnés de préparer les restructurations avec les patrons.
Le législateur doit trouver des mécanismes favorisant les entreprises qui déclenchent en amont les négociations utiles, par rapport à celles qui attendent le dernier moment. Certains envisagent de sanctionner celles qui recourent abusivement aux contrats précaires, par des cotisations chômage plus élevées. Pourquoi ne pas créer des incitations fiscales ou financières à la négociation ?
Les comités d'entreprise devraient être les premiers informés des difficultés. Aujourd'hui, ils le sont trop tard, et ne peuvent pas jouer leur rôle de veille. Il faut aussi des administrateurs représentant les salariés ou les organisations syndicales. Même minoritaires, ils pourront faire entendre leur voix avant que les décisions stratégiques ne se prennent, et pas après !
Associer les salariés à la stratégie des entreprises permet parfois d'éviter les erreurs, même si cela se joue à la marge. Quand on reprend une suggestion faite par les représentants du personnel, on établit un rapport de confiance. Il n'y a rien d'infamant, pour un patron, à se faire corriger par un syndicaliste, parfois aussi imaginatif qu'un directeur des achats !
Dans la durée, performance économique et performance sociale doivent aller de paire. Saboter la performance sociale peut fonctionner à court terme, jamais sur la durée.
Le gouvernement envisage de durcir les conditions du licenciement économique dans les entreprises ou groupes qui versent des dividendes. Qu'en pensez-vous ?
En période de crise, pourquoi traiter de la même manière les entreprises au bout du rouleau et celles qui ont des marges de manœuvre économiques ? Le devoir de solidarité, dans ces moments, s'impose à ceux qui vont bien...
Personne ne s'offusque de l'inégalité de traitement, en cas de licenciements économiques, entre les salariés de grands groupes, qui bénéficient de cellules de reclassement, d'accompagnement lourd, et ceux des petites entreprises, qui n'ont rien de tout cela ! Le législateur, sur un mode incitatif ou, pourquoi pas, contraignant, pourrait pousser certaines entreprises, en fonction de leur taille ou de leur marge de manœuvre, à moins licencier ou à mieux accompagner ces licenciements.
Les entreprises ont parfois besoin de se restructurer, avant les difficultés, pour mieux rebondir...
L'anticipation consiste aussi à se projeter sur les marchés et la situation de l'entreprise dans trois ans. Pour garder sa compétitivité, une entreprise peut effectivement anticiper des mesures, et trouver des correctifs. Mais alors, qu'elle donne aux salariés qui quitteront l'entreprise les moyens d'un retour à l'emploi. Ils doivent être formés avant les plans de restructuration. Quand ils sont chômeurs, c'est trop tard ! Mais spontanément, l'entreprise ne forme pas le salarié dont elle pense se séparer prochainement...
Anticiper, c'est annoncer à ses salariés que des emplois vont disparaître, et leur proposer des plans de reconversion, en interne ou en externe, qui seront d'autant plus efficaces qu'ils auront été préparés à l'avance. Beaucoup le font ! Une entreprise qui vit dans le non-dit, dans le déni permanent, n'est pas préparée à affronter les changements. Elle y perd, car l'angoisse de ses salariés ne les pousse pas à faire des efforts.
Le gouvernement souhaite obliger un industriel qui ferme un site, à le vendre à un repreneur. Est-ce une bonne méthode pour sauver l'emploi industriel ?
Pourquoi pas faire la chasse aux abus, mais cela restera dans le domaine des symboles car je vois peu d'exemples où cette disposition sera opérationnelle. Très peu de sites sont repris clés en main par des industriels. Mais le législateur peut sans doute agir pour éviter que la recherche d'une plus-value foncière soit à l'origine de la fermeture d'un site.
Tout le monde souhaite, en France, soutenir les PME. Comment ?
Il faut sortir de l'idée que la compétitivité, c'est uniquement le coût du travail. Non ciblées, les exonérations sociales ne font que créer des effets d'aubaine pour certaines entreprises, et n'aident pas les plus exportatrices à se développer.
Je crois davantage au soutien à l'innovation. C'est sur ce terrain qu'on pourra asseoir notre tissu de PME. Mais elles manquent de fonds propres, il faut régler le problème de l'accès au crédit. La Banque publique d'investissement sera peut-être le bon outil.
Enfin, n'oublions pas que la compétitivité allemande provient également de la qualité des relations entre PME et grands industriels. C'est un travail de longue haleine, qui a débuté en France avec les pôles de compétitivité, mais qu'il faut poursuivre.
Si aucune annonce n'est faite à l'issue de la conférence sociale, n'aura-t-on pas perdu pas mal de temps ?
Le temps des réformes miracles est derrière nous, plus personne n'y croit. Il faut créer les conditions de la réforme, trouver un bon équilibre entre démocratie politique et démocratie sociale.
Je crois beaucoup à la réflexion de François Hollande sur la démocratie sociale. Une société qui négocie davantage, recherche plus le compromis, avance mieux. Mais ce changement culturel prendra plus qu'un quinquennat. Raison de plus pour avoir une méthode valable, lancer des expérimentation, les évaluer. Et ne pas perdre de temps. La tenue de cette conférence sociale rapidement après l'élection est une bonne chose.