"Si vous vous ne vous souciez pas des réseaux, les réseaux se soucieront de vous". Plus de dix ans après la publication de "La Galaxie Internet", les propos du professeur de sociologie Manuel Castells sur l'impact des nouvelles technologies n'ont pas pris une ride. En quelques années, le web a bouleversé les relations sociales entre individus et dans le monde du travail. A tel point que les plus réticents aux réseaux sociaux et à internet risquent de rapidement rester sur le bord de la route.
"Dans la Silicon Valley aujourd'hui, quand une personne cherche un emploi, elle envoie son compte Twitter. Les entreprises ne demandent plus de CV papier", confie ainsi Frédéric Tardy, responsable de l'Atelier BNP Paribas à San Francisco et co-auteur avec les journalistes Jean Rognetta et Julie Jammot du livre "La République des réseaux" (Fayard), sorti en septembre dernier. Progressivement, l'identité numérique prend une place prépondérante pour les recruteurs. Et pas que de l'autre côté de l'Atlantique. Cet été, une offre de stage de la marque de sport Quechua exigeait par exemple un score d'au moins 35 sur le site Klout, un outil censé mesurer votre réputation en ligne.
La fin des anciens de l'ENA ?
Une étude de TNS Sofres pour Expectra indiquait ainsi que fin 2011, 51% des recruteurs interrogés recouraient régulièrement aux réseaux sociaux au cours du processus de recrutement. Du côté des employeurs, l'e-réputation est également une arme à double tranchant. Près de la moitié des postulants à une offre d'embauche affirment avoir déjà renoncé à présenter leur candidature après avoir lu sur internet des informations négatives sur l'entreprise, selon un sondage de RégionJobsdatant de 2011. De grands groupes comme Danone, qui vient de lancer son premier social Game sur Facebook pour valoriser sa marque employeur, l'ont très bien compris.
Facebook, Twitter et consorts vont-ils pour autant remplacer les associations d'anciens élèves d'écoles prestigieuses ou les cercles mondains très select ? "Oui, s'ils ne se numérisent pas", assure Jean Rognetta. "Chacun peut construire son propre réseau" désormais, ajoute-t-il. Le web offre effectivement une grande liberté d'initiative, même si les réseaux construits ont tendance à se désagréger aussi vite qu'ils sont apparus. Les anciens de Polytechnique ou de l'ENA ont donc encore de beaux jours devant eux. Mais ils ne pourront pas rester en marge de la révolution numérique.
Les licenciés Facebook
Car comme le rappellent très justement Frédéric Tardy, Jean Rognetta et Julie Jammot dans leur ouvrage, l'identité réelle et virtuelle sont en train de fusionner. A San Francisco, dans les milieux de la high-tech, un email envoyé par une personne qui n'a aucune présence sur LinkedIn est déjà considéré comme un faux ! En parallèle, la sphère privée et la sphère publique sont de plus en plus difficiles à distinguer. Les affaires de "licenciés Facebook", bien qu'encore très peu nombreuses, se sont multipliées.
En 2009, une caissière se fait licencier pour ne pas avoir informé son patron des disparitions de produits mais également pour avoir dénigré la société sur le réseau social. Le conseil des prud'hommes de Montbéliard a estimé que le licenciement était justifié, indiquant en substance qu'un dialogue sur Facebook ne constituait pas une conversation privée. Un jugement confirmé par la Cour d'appel de Besançon fin 2011.
"Beaucoup de gens prennent des risques sur le web sans s'en rendre compte. Il y a un apprentissage qui est en cours, qui se fait au fur et à mesure", confirme Julie Jammot. En matière de maîtrise des données et des nouveaux outils, tout le monde ne part donc pas sur un pied d'égalité. Une raison de plus pour prendre le train en marche et éviter de se retrouver marginalisé.
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