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Xerfi Canal présente l'analyse d'Aurélien Duthoit, directeur d'études Xerfi Global
La mutation de l’industrie automobile mondiale est extrêmement rapide. On assiste à un gigantesque redéploiement des capacités de production entre les grandes zones géographiques. Dans le même temps, la ré-industralisation est le nouveau mot d’ordre des gouvernements dans les pays occidentaux, et l’automobile est un excellent révélateur des stratégies économiques des pays et de leurs modèles économiques. On constate que l’industrie de certains pays connait une très forte croissance quand d’autres déclinent à grande vitesse.
On peut distinguer 4 groupes de pays. Certains pays ont regagné de la compétitivité et relancé leur industrie automobile, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis. D’autres ont encore accentué leur dynamique positive sur un modèle mercantiliste comme l’Allemagne, la Corée du Sud et le Japon. Les grands émergents comme la Chine et le Brésil ont vu leur industrie automobile décoller mais en lien cette fois-ci avec une forte demande intérieure. Et d’autres, à l’inverse, ont vu leur situation se dégrader encore comme la France ou l’Italie.
Le Royaume-Uni montre que rien n’est jamais perdu. Personne n’aurait misé un penny sur l’avenir de l’industrie britannique quand Rover a mis la clef sous la porte en 2005, on pensait l’industrie automobile britannique perdue après le changement de contrôle d’icônes comme Jaguar, Land Rover, Rolls-Royce ou Mini. C’est pourtant exactement l’inverse qui est en train de se passer.La production automobile a retrouvé ses niveaux d’avant-crise en 2011, et pourrait retrouver ses niveaux du début des années 2000 dès 2015. Cette renaissance britannique vient du large, avec 85% de la production destinée à l’exportation. Depuis 2010, et on le sait peu, le Royaume-Uni a même dépassé la France en termes d’exportations automobiles.
Alors derrière ce redressement, trois tendances majeures. La première, c’est le positionnement des constructeurs présents. Le Royaume-Uni est le deuxième producteur de véhicules premium derrière l’Allemagne avec encore une dizaine de constructeurs de niche avec une réputation mondiale. La deuxième, c’est le positionnement à l’export. Le Royaume-Uni fait toujours figure de porte-avion pour la conquête du marché européen, et le pays garde des liens privilégiés avec les investisseurs de son ancien empire. Encore mieux, près de 40% des exportations vont hors Union Européenne, c’est le cas notamment des voitures de sports et des limousines anglaises. Troisième point enfin, c’est l’attractivité retrouvée du Royaume-Uni qui a incité BMW, Nissan, Toyota, General Motors à investir très massivement dans les usines britanniques. La livre faible, la déflation salariale, la flexibilité du travail, les incitations à l’investissement et l’attractivité fiscale ont rendu le Royaume-Uni très compétitif par rapport à d’autres pays d’Europe continentale.
de l’autre côté de l’Atlantique, la recette est en effet assez proche de celle du Royaume Uni. A ceci près que le Royaume-Uni vise les marchés internationaux là où l’industrie américaine vise la reconquête du marché intérieur. La production automobile s’était effondrée de moitié au plus fort de la récession, mais elle a déjà dépassé ses niveaux d’avant-crise. On parle beaucoup du redressement industriel américain, eh bien l’automobile est précisément la composante la plus dynamique de la production industrielle américaine depuis 2009. La raison à cela, c’est que les constructeurs américains vont mieux. GM s’est débarrassé de ses dettes et de 100 000 emplois après être passé sous le Chapter Eleven. Idem pour Chrysler, qui s’est allié à Fiat entre temps.
Trois ans après la grande purge et 80 milliards de dollars plus tard, Detroit est de retour, avec des constructeurs américains redevenus compétitifs en termes de produits et surtout en termes de coûts. Le Big Three et le principal syndicat automobile UAW se sont mis d’accord. Réduction des coûts salariaux, baisse massive des pensions de retraite, de la couverture santé, des salaires à l’embauche… Tout ça a rendu beaucoup de marge de manœuvre aux constructeurs américains, notamment General Motors. En contrepartie, GM notamment s’est engagé à recréer de l’emploi sur le territoire américain. Dans les chiffres, les Etats-Unis ont retrouvé 230 000 emplois dans l’automobile entre 2009 et 2012, même si le compte n’y est toujours pas.
l’Allemagne est le seul pays d’Europe occidentale à avoir vu sa production automobile augmenter au cours de la dernière décennie. L’Allemagne poursuit dans l’automobile comme dans le reste de son industrie une stratégie mercantiliste. En somme, c’est la demande internationale qui fait tourner les usines allemandes. Un exemple frappant. Si on prend le cas de Mercedes-Benz, l’Allemagne ne représente qu’un cinquième des ventes, mais trois quarts de la production et plus de 9 salariés sur 10.
La première raison à cela, c’est que le Made in Germany s’exporte très bien, c’est un fait. Les constructeurs allemands se sont constitués un quasi-monopole sur les véhicules premium mass-market avec Mercedes, BMW et Audi. C’est un segment très porteur, avec une vraie demande internationale, plutôt oligopolistique, et des marges très élevées. Tout ça permet le maintien de la production en Allemagne. Au-delà de la hauteur de gamme, l’Allemagne a également joué deux cartes gagnantes. La première, c’est les accords de modération salariale et de flexibilité du travail négociés sous le gouvernement Schröder. La seconde, c’est l’intégration économique croissante avec l’Europe de l’Est dans le cadre de l’économie de bazar.
Le succès de la Corée du Sud est moins connu et pourtant l’automobile est devenue un nouveau secteur stratégique, comme en leur temps l’acier, la construction navale, l’électronique de loisirs et les semi-conducteurs. La Corée a effectué son rattrapage, la preuve c’est que Hyundai Kia devance Toyota, donc le premier constructeur automobile mondial, sur le premier marché automobile au monde, à savoir l’Europe.
Il s’est passé dans l’automobile ce que l’on a vu dans d’autres secteurs auparavant en Corée : de la sous-traitance, puis de l’imitation, puis du perfectionnement, puis la conquête des marchés internationaux avec des incitations à l’export et la puissance de feu des conglomérats qui servent de rampes de lancement. Ce que l’on voit dans l’automobile aujourd’hui a également lieu dans d’autres pans de l’industrie coréenne comme le nucléaire, les énergies renouvelables, le matériel ferroviaire et l’aéronautique. La Corée se positionne sur les grands marchés industriels internationaux pour générer des excédents commerciaux conséquents.
Le Japon reste un acteur de tout premier plan dans l’industrie automobile. Ca reste quand même le deuxième producteur au monde, avec une demi-douzaine de constructeurs dont le numéro un mondial Toyota. L’industrie japonaise fait mieux que se maintenir, on a des exportations en forte progression, on a un territoire toujours très compétitif. L’industrie japonaise est largement robotisée. elle est réputée pour ses processes de production et sa logistique, et surtout elle bénéficie à plein de sa situation idéale entre la Chine et les Etats-Unis, mais aussi d’autres gros marchés comme l’Australie, la Russie ou l’Inde.
attirer les investisseurs étrangers pour satisfaire la demande domestique: voilà comment la Chine est devenue le premier producteur au monde avec une production reste encore très largement destinée au marché intérieur.Dans les chiffres, la Chine a produit plus de 14 millions de voitures en 2011, c’est douze fois plus qu’il y a dix ans. Derrière ça on trouve des investissements considérables des constructeurs étrangers, contraints à des co-entreprises avec des groupes chinois pour pouvoir produire localement. L’autre exemple dans l’industrie, c’est le Brésil qui a une production qui a pratiquement doublé sur la même période et qui a également su attirer les constructeurs étrangers. Les quatre géants Européens contrôlent plus de la moitié du marché avec des véhicules produits localement pour satisfaire au besoin du marché local, à cause notamment de la spécificité de la bicarburation essence-éthanol en vigueur dans le pays.
Pour la France, le diagnostic est bien connu. Il y a dix ans, la France dégageait un excédent commercial de 8 milliard d’euros dans la construction automobile. Aujourd’hui, la France affiche un déficit de 9 milliards d’euros.On a souvent invoqué la concurrence de l’Allemagne, à raison, puisqu’il s’agit du pays sur lequel nous avons perdu le plus de terrain.On oublie un peu vite à mon avis que la France a tout autant souffert de la concurrence de l’Espagne, de la Slovaquie, de la République Tchèque, de la Roumanie, de la Turquie, de la Slovénie et de la Corée du Sud. En un mot, de pays où Renault et PSA ont considérablement développé leur production.
C’est difficile de jeter la pierre aux constructeurs français parce que cette stratégie de production est la seule possible quand on a fait le choix du milieu de gamme. C’est un constat que l’on fait d’ailleurs souvent pour une bonne partie de l’industrie française : la France a un vrai problème de hauteur de gamme, les marges sont sous pression, et la conséquence c’est la délocalisation vers des pays à bas coût. C’est la seule alternative pour produire de façon rentable, mais ça se fait au détriment des sites de production français.
On peut faire le même constat pour l’industrie italienne qui a elle-aussi pâti du positionnement de Fiat, qui pèse 90% de la production automobile du pays. L’Italie conserve encore des fleurons positionnés sur des niches de marché comme Ferrari et Maserati du groupe Fiat justement, mais les volumes ne sont pas suffisants pour compenser la perte de production des autres marques du groupe en Italie.
La carte de l’industrie automobile mondiale a été complètement redessinée avec ces quatre typologies de pays. Que faut-il retenir de tout ça ?
D’abord, les pays avec une croissance automobile introvertie que sont la Chine, le Brésil et l’Inde ont vu leur production automobile décoller au cours de la dernière décennie, on le voit sur cette carte, avec des investissements massifs des constructeurs étrangers. La prochaine étape, notamment pour la Chine, sera la conquête des marchés internationaux à l’horizon 2020.
Les pays mercantilistes, largement tournés vers l’exportation, ont maintenu leurs parts de marchés dans le cas du Japon, et les ont considérablement accrues dans le cas de la Corée du Sud et de l’Allemagne. Vous voyez ici l’évolution des exportations sur la dernière décennie. C’est la demande internationale qui a tiré à la hausse la production automobile dans ces pays.
Viennent ensuite les pays en déclin dans l’automobile, notamment l’Espagne, la France et l’Italie. La production a considérablement chuté au cours de la dernière décennie, et aucune amorce de reprise n’est en vue pour le moment. L’Espagne pourrait se donner de l’air avec la déflation salariale mais ça ne sera probablement pas suffisant, quant à la France et l’Italie elles restent tributaires du positionnement de leurs constructeurs nationaux qui condamnent les sites de production locaux.
Enfin, le rebond est toujours possible, c’est ce que montrent le Royaume-Uni et les Etats-Unis. La reconquête du marché intérieur pour les USA, la stratégie extravertie pour le Royaume Uni, avec en commun un choc de compétitivité qui porte sur les coûts et la flexibilité du travail. Ils sont sur la voie du redressement depuis 2009. Bien sûr l’effet de base est favorable, mais tous les signaux (production, exportations, emplois) sont positifs et montrent que la crise est déjà surmontée.
Aurélien Duthoit, Automobile mondiale : les gagnants et les perdants, une vidéo Xerfi Canal