Un long cycle a voulu que l'entreprise, au nom du retour de l'actionnaire et de sa logique financière, ne soit appréhendée qu'à travers l'exigence de rentabilité des capitaux, loin de toute dimension de bien commun, d'innovation collective et de lien social. La crise que nous traversons est, à bien des égards, une crise de ce "modèle", oublieux des femmes et des hommes qui font l'entreprise, de l'environnement et de la société dans laquelle elle intervient.
Un certain regard sur l'entreprise et une "doxa" ont prévalu et prévalent encore, imprégnant avec force les programmes de formation des business schools, les référentiels des cabinets conseil et les représentations dominantes à la tête des entreprises. La crise actuelle pourrait bien lesremettre en question tant ils se sont révélés à courte vue. Des notions telles que la création de valeur ou la performance sont aujourd'hui questionnées du fait même de la crise, mais surtout des comportements qui ont mis lesentreprises en difficulté.
Le changement de regard viendra, nous en sommes convaincus, de nouvelles approches. Entre autres, des liens qui nous paraissent fondamentaux entre le monde des praticiens et l'univers des chercheurs. Le régime d'innovation des entreprises a eu très tôt partie liée avec la création de savoirs. Le rôle dessciences, des laboratoires de recherche a été décisif dans les inventions et la réussite des entreprises.
Nous sommes à un moment où de nouvelles connexions entre le monde de l'entreprise et le monde de la recherche sont sans doute nécessaires pour dépasser la réduction opérée par la corporate gouvernance et ouvrir de nouveaux horizons de pensée et d'action. Mais ces deux mondes, qui ont toujours été distincts, voire souvent méfiants l'un par rapport à l'autre, se sont considérablement éloignés ces dernières décennies, jusqu'à se perdre de vue tant les logiques étaient différentes, pour ne pas dire opposées. Or, un des enjeux majeurs pour l'avenir des entreprises et leur développement est sans doute de remettre du savoir, de l'intelligence, du complexe dans un univers qui a été par trop réduit. Et le monde de la recherche a, de son côté, besoin dereprendre dans de meilleures conditions le fil des échanges entre savoirs académiques et savoirs pratiques.
Le besoin de changer de regard est évident, criant même, sur le plan social. Trop de transformations ont été menées en faisant peu de cas des dimensions de socialisation, de construction du lien social et de communication au sein des entreprises. Les sciences sociales peuvent occuper une place nouvelle pour aider les entreprises à comprendre et à agir pour "refaire société" en leur sein.
L'histoire, la prise en compte des dynamiques sociales, les identités au travail sont, parmi d'autres, des chemins de recherche à emprunter ou à réemprunter pour permettre aux praticiens de bien formuler les problèmes et de poser les questions pertinentes en vue de l'action. Le point de vue du chercheur est un point de vue "critique". Et c'est bien cet esprit critique dont ont le plus besoin les praticiens pour sortir d'un prêt à penser managérial défaillant.
Ce texte fait suite à la Conférence-débat « Changer de regard - Quand les sciences sociales et les entreprises se rencontrent » organisée le 28 juin dernier à Sciences Po par l'Association Française de Communication Interne ( AFCI) et l'Association des Professionnels en Sociologie de l'Entreprise (APSE).