LE CERCLE. (par Jean-Paul Betbèze) - Voici un propos courageux : « Notre projet est de conduire la France sur la route de la troisième révolution industrielle », annonce Arnaud Montebourg, le 19 août. Propos courageux, car une révolution industrielle est une destruction, qui permet une création.
Le ministre définit cette troisième révolution comme « la rencontre entre les énergies renouvelables et les technologies numériques » pour son contenu et comme « l'alliage de l'autorité et de l'audace » pour sa dynamique. Il ajoute qu'elle va « créer des emplois nouveaux », des « produits nouveaux » et « des objets nouveaux ». Elle va donc détruire produits, objets et emplois anciens, pour obtenir plus d'emplois et de produits nouveaux. A terme, nous aurons ainsi plus de croissance, mais il faudra de l'autorité et de l'audace pour l'obtenir. Parfait.
La France va donc devoir mettre les bouchées doubles. En effet, tandis que l'Allemagne maintient sa part dans le commerce mondial à 9 % depuis 2000, celle de la France passe de plus de 5 % il y a dix ans à 4 % désormais. Notre pays pèse la moitié de l'Allemagne dans les échanges mondiaux. Au sein de la zone euro, l'Allemagne représente 33 % des exportations, la France 13,5 %, moins de la moitié. Sur dix grands secteurs industriels en zone euro, la France voit sa part diminuer pour tous, alors que l'Allemagne l'accroît pour huit d'entre eux, la maintient pour la chimie, la réduit pour la sidérurgie.
Cette révolution n'est pas seulement industrielle. C'est plus une révolution d'un troisième type qu'une troisième révolution. C'est celle où le secteur des techniques d'information et de communication permet de dépasser l'opposition entre le hard de l'industrie et le soft des services. Nous vivons désormais dans un monde où s'échangent des prestations combinant biens et services. Ces prestations sont de plus en plus subtiles, adaptées, changeantes, reliées entre elles. La révolution en cours est précisément celle de leur maîtrise croissante et de leur guidage, pour creuser l'écart par rapport aux concurrents, gagner en satisfaction auprès des clients, autrement dit en compétitivité, en croissance, en emploi.
Pour avancer, il faut donc être prêts à créer et à détruire, et plus qu'avant. Il faut plus de savoir, de vouloir, de pouvoir. Le savoir vient de liens plus forts à nouer entre laboratoires et entreprises, grandes et petites. Le vouloir vient d'un corps social qui accepte de changer ses coutumes et ses organisations pour faire autre chose, plus vite, mieux, moins cher. Il faut donc pouvoir gérer et administrer différemment, pour allouer ailleurs les moyens humains et financiers ainsi économisés. Donc il faut réformer, revoir les rentes, les statuts, les avantages acquis, expliquer et convaincre. C'est la révolution !
Comment mener cette révolution-ci ? Il faut d'abord des moyens, humains et financiers. Pour investir et innover, il faut que les entreprises puissent adopter des organisations plus souples et plus réactives encore, et y attirer des talents. Il faut qu'elles puissent chercher plus et plus longtemps, explorer et veiller davantage, supporter plus d'échecs et disposer donc de plus de fonds propres. Ces fonds peuvent venir de leurs profits ou d'investisseurs privés, prêts à prendre des paris plus risqués. Or les résultats des entreprises françaises sont les plus faibles depuis dix ans. Il faut donc que ceux qui se lancent dans l'aventure, avec ce que cela implique de risques personnels et d'engagement, puissent s'enrichir. S'enrichir pour faire croître l'entreprise et assurer ainsi la relève des anciennes. C'est toujours la révolution ! Mais les entreprises de la relève, les ETI (entreprise de taille intermédiaire) patrimoniales françaises, sont deux fois moins nombreuses et deux fois moins grosses que leurs concurrentes, en France, qui sont possédées par des capitaux non français. Elles sont quatre fois moins nombreuses que leurs concurrentes allemandes, qui ont, elles, les moyens et surtout la culture d'un développement durable, ou persévérant (« Nachhaltigkeit »), autrement dit familial. La bataille sera donc rude.
Surtout, cette révolution des ordinateurs et des réseaux ne nous a pas attendus, vingt ans au moins qu'elle est en marche, mais tout est toujours plus compliqué ici. Au fond, les Français ne sont pas contre cette troisième révolution industrielle. Le vrai problème est ailleurs : la révolution qu'ils doivent faire, c'est contre eux-mêmes.
2 COMMENTAIRES
Je crois malheureusement que c'est un mirage.
La qualité était humaine en France, mais les bas salaires et les explosions technologiques ont gagné les pays émergeant. Ils n'ont pas un modèle social couteux comme le notre, ni 6 millions de fonctionnaires. La croissance ne sera plus au rendez-vous! Il faut donc inventer un nouveau modèle occidental, sans croissance.
Les meilleur exemple que je peux vous donner, car je le connais bien est l'évolution de la chirurgie;
La réorganisation de la chirurgie n'est pas commencée. Celle ci reposait sur la qualité du geste et sur les connaissances anatomiques. La vidéo chirurgie et la robotique permettent-ils à tous les chirurgiens de s'en passer? Certainement pas.
Le développement des Écoles de Chirurgie avec de véritables laboratoires associant des simulateurs informatisés et des accès au modèle animal permettrait d'aider à la formation des jeunes chirurgiens. La crise financière et le développement de smonstres hospitaliers couteux et inutiles l'en empêche! Certaines sociétés dans le passé en prenant des mesures inadaptées « par le haut » sont responsables de coûteux échecs, voir de leur propre disparition. L’expérience des acteurs de terrain comme était celle des « peuples premiers » serait irremplaçable pour les éviter. Cassandre avait annoncé la chute de Troie…ce qui a finit par arriver.
L’urgence nécessitera comme aux armées un enseignement spécifique. Ce savoir faire risque de disparaitre avec la retraite des derniers chirurgiens généralistes en activité. Comme pour la cœlio interventionnelle, les nouvelles techniques ne devraient être pratiquées qu’après avoir acquis une parfaite maitrise, faute de quoi il faudra s’attendre à de graves déboires, avec le manque futur de chirurgiens bien formés.
Formons correctement les élèves, les étudiants et les élites.
Les TGV peuvent rouler car notre électricité(pour l'instant) est peu chère...mais les voies ferrées vétustes l'oblige à ralentir....
Monsieur Betbèze,
Je souscris entièrement à vos propos. Plusieurs experts ou observateurs ont d'ailleurs fait le même diagnostic. Mais comme je l'ai moi-même souligné dans un de mes articles, l'ingrédient clé une telle révolution ne peut s'opérer que par un changement de mentalité de la part de tous les agents sociaux; ce que vous appelez la révolution contre eux-mêmes. Or un tel changement ne peut malheureusement se faire d'un simple coup de cuillère à pot. Cela prendra du temps (en avons-nous?) et empruntera un chemin vraisemblablement parsemé de pleurs et de grincements de dents. Personnellement, je me pose la question suivante: une telle révolution est-elle possible en France quand on voit le clivage social qui prévaut entre PME-Grands Groupes-salariés-syndicats-fonctionnaires-Etat-politiques? Des années d'affrontement et d'opposition et de prérogatives à protéger...
Vaste programme dirait un certain...