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- Louis Gallois et Jean-Marc Ayrault évoquent le choc de compétitivité -- Philippe Wojazer / Reuters -
Les coûts salariaux français figurent bel et bien parmi les plus élevés de l’Union européenne, même s’il nous reste encore quelques efforts à accomplir pour espérer décrocher une médaille d’or –voire un simple podium.
Employer une personne une heure dans une entreprise de plus de dix salariés de l’Hexagone et tous secteurs confondus –c’est Eurostat qui le dit alors c’est du sérieux–, bing, c’est 34,2 euros! Soit l’addition du salaire net, des cotisations sociales ou fiscales du salarié et des contributions équivalentes de l’employeur.
Les «vrais» champions d’Europe du travailleur hors de prix restent la Belgique (39,3 euros de l’heure), la Suède (39,1 euros) et le Danemark (38,6 euros) mais, alléluia, les vingt-trois autres (sur vingt-sept) sont derrière nous. Même nos amis allemands (30,1 euros), puisqu’ils se débrouillent pour dépenser moins pour l’assemblage d’une BMW Série 5 vendue 50.000 euros que nous pour le montage d’une Twingo disponible à partir de 8.000 euros!
Incidemment, les Britanniques sont à 20,1 euros, mais ils ne font jamais rien comme les autres de toute manière et une heure de factoryà Manchester coûte à peu près autant que soixante minutes de fábricaà Valencia. Une vraie bonne affaire compte tenu de la productivité inférieure des Ibères...
Le truc amusant, alors que le Français est objectivement si dispendieux (un entrepreneur doit être en mesure de vendre l’heure de travail de son collaborateur au moins un poil plus cher que ce qu’elle lui coûte histoire d’avoir encore de quoi payer l’impôt sur les sociétés), c’est à quel point il n’en profite pas concrètement. Les comparaisons de salaires nets sont difficiles à obtenir parce qu’Eurostat ne les compile pas et que même l’OCDE sèche un peu sur ce coup [1], mais le cabinet Deloitte vient de s’y coller à la demande de la Belgique, qui cherchait à se situer parmi ses pairs.
Patrick Derthoo, le consultant chargé de cette enquête, est formel:
«C’est un peu la course entre la France et la Belgique pour le record du pire ratio coût salarial global/salaire net même si l’Italie se débrouille assez bien aussi dans ce registre.»
Pour parvenir à ce cruel constat, trois scénarios différents ont été imaginés permettant de comparer, pour un coût salarial global identique dans 11 pays [2], ce qui correspondrait à un salaire direct revenant effectivement à l’employé. Il prévient:
«Ces comparaisons ne sont d’ailleurs pas faciles à établir, puisque l’impôt sur le revenu est prélevé à la source dans certains pays mais pas dans d’autres. En outre, il existe des systèmes où le fait d’être marié et d’avoir des enfants affecte le montant de l’impôt ou le niveau des cotisations et d’autres où ça n’a pas d’incidence. Nous avons donc dédoublé chaque scénario pour en tenir compte et intégrer l’IR dans tous les cas: un salarié marié avec deux enfants, un salarié célibataire sans enfant...»
Dans le premier scénario, lorsque le coût salarial global est de 31.917 euros par an, l’Européen s’en sortant le mieux est l’Irlandais (26.890 euros de salaire net en couple/25.400 euros en célibataire), mais le Français a le plus mauvais deal (17.500 euros/16.600 euros).
Dans le second cas de figure, lorsque le coût du poste pour l’employeur est de 66.763 euros, c’est le Polonais qui l’emporte chez les mariés, même si l’on imagine ce sont des niveaux de salaires encore assez rares dans ce pays (44.000 euros nets) et le Britannique chez les cœurs solitaires (41.393 euros). Le Français ne ferme pas complètement la marche (c’est le Belge!), mais il se situe tout au fond du tableau malgré tout (34.000 euros /30.000 euros).
Enfin, dans la dernière hypothèse, celle d’un cadre supérieur revenant à 125.000 euros à son entreprise, c’est encore le Polonais qui s’en tire avec les honneurs pour le net avec ou sans tribu familiale (78.750 euros /82.000 euros) quand la France est avant-dernière chez les zamoureux (59.000 euros) et carrément voiture-balai chez les loups solitaires (50.000 euros).
«Le niveau relatif des coûts salariaux interpelle, estime Patrick Derthoo, puisqu’il a un impact direct sur la compétitivité et la capacité d’un pays à conserver des emplois industriels. Ainsi, un constructeur automobile comme Ford, qui devait arbitrer entre la Belgique et l’Espagne pour la fermeture d’une usine, a choisi de quitter la première. Bien sûr, ces coûts ne sont qu’une partie de l’équation et le niveau de productivité compte énormément aussi, mais ce n’est pas négligeable pour autant. Les prélèvements qui pèsent sur les salaires directs sont également un problème puisqu’ils limitent le pouvoir d’achat des salariés et freinent la consommation, notamment en France et en Belgique. Si certains pays se dotent d’une fiscalité sur le travail qui freine et la production et la consommation, leur avenir économique est compromis...»
Hé hé, sans blague.
Hugues Serraf
[1] L’OCDE produit chaque année un gros document intitulé «Taxing wages», mettant en regard l’incidence des contributions sociales et fiscales sur les salaires mais sans permettre de comparaison directes entre coûts salariaux et rémunérations nettes. Retourner à l'article
[2] Irlande, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Espagne, Pologne, Suède, République tchèque, Italie, France. Retourner à l'article