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En instaurant le Suffrage universel pour l’élection du Président de la République, le Général de Gaulle pensait d’abord à ses successeurs. En effet, fort de sa légitimité historique, son élection présidentielle lui apparaissait totalement inutile. C’est ainsi d’ailleurs qu’il n’hésitait pas à transformer le moindre référendum en plébiscite, ce qui, tout le monde en conviendra, n’a rien de républicain. Mais voilà, de Gaulle est de Gaulle et échappe, de par les circonstances exceptionnelles qui en ont fait un homme exceptionnel, aux règles qu’il a lui-même voulues.
Simplement, de Gaulle savait que ses successeurs ne pourraient pas jouir de la même aura et qu’il leur faudrait se prévaloir du suffrage universel afin de s’affranchir du poids des partis et de leur cortège parfois nauséabond. Car de Gaulle avait les partis en horreur et avait l’immense avantage de pouvoir s’en passer, car, comme Clémenceau ou Jaurès, il formait un archipel de quelques géants au milieu d’un océan d’innombrables nains.
Force est de constater que les nains ont gagné et que les partis politiques, composantes nécessaires à la vie démocratique, sont également devenus des entreprises dont la fonction est la maitrise de la répartition du pouvoir, de la distribution des fonctions et de la reproduction des clercs légitimes.
La mise en place des primaires socialistes et celle assez inéluctable de primaires UMP pour 2017 marque en cela l’apogée de la main mise partisane sur le débat politique français et en particulier sur cette élection très particulière qu’est la présidentielle et qui devrait être une rencontre entre un homme ou une femme et un peuple.
En cela, l’esprit de la Ve République est mort et enterré et de Gaulle a finalement perdu sa partie contre le système partisan.
Cela ne serait pas forcément un drame si le corolaire de cette structuration politicienne n’avait comme conséquence d’opposer durablement deux France et de ne donner à un Président élu qu’une demi-légitimité, car lorsqu’on est le candidat d’un camp, on est forcément perçu comme le Président de ce camp-là.
Par ailleurs, les partis sont également devenus les alliés de l’État dans son désir impérieux de mettre à jour un système de reproduction de ses propres élites, dressées à fortifier, défendre et nourrir la superstructure étatique. C’est ainsi que le corpus administratif, mal français décrit par Alain Peyrefitte, est devenu un sanctuaire où les mêmes vont par paires.
Combien de Présidents, de ministres, de Secrétaires d’États, de grands patrons sont-ils issus de l’ENA ? Combien sont issus de Paris, combien sont issus de 4 arrondissements parisiens ? Combien sont enfants d’Énarques, de hauts fonctionnaires, de ministres, de Secrétaires d’État, de Grands Patrons ? Sans vouloir réécrire Bourdieu, il est bon de temps en temps de remettre l’église au milieu du village et en l’espèce de réaffirmer que ce vieux pays est aux mains d’un vieil appareil de reproduction de vieilles élites, nourries aux même vieilles analyses donnant les mêmes vieilles recettes. Cela ne fait pas d’eux des décideurs mal intentionnés, non, simplement des décideurs en mal de nouvelles intentions.
De cette nouvelle noblesse de robe et plus jamais d’épée, les partis ont fait leur lit, afin d’asseoir leurs stratégies et finalement leur business model, car les grands partis sont d’abord des machines où le marketing, la communication et la commercialisation sont au cœur du système.
Forts de leur suprématie héritée, ils ont confisqué le débat et finalement le projet, celui de la République et de sa perfectibilité. La République, indivisible, laïque, et toujours en recherche du progrès, social, humain, économique, structurel et culturel. Ils nous ont conduits jusque dans le cul-de-sac dans lequel nous nous trouvons, celui des alternances qui apparaissent comme une respiration démocratique alors qu’elles ne sont que les spasmes d’une société qui meurt de son propre immobilisme, asphyxiée par tant de poids.
Car pour rendre leur forteresse inattaquable, les différentes classes politiques au pouvoir depuis 50 ans, se sont évertuée à complexifier la structure, à la rendre à ce point illisible que personne, oh grand personne, ne puisse imaginer vouloir mettre la tête là où personne ne voudrait mettre les pieds. Pari gagné ! Plus personne n’y comprend plus rien, à commencer par ceux-là mêmes qui ont participé à cette gabegie législative et réglementaire. Aucun député sérieux n’est aujourd’hui capable de connaître le quart des lois qu’il vote, si bien qu’il vote n’importe quoi ou plutôt le n’importe quoi que lui dicte le lobby qui parle le plus fort.
Pour avoir participé à quelques travaux en commissions et à quelques suivis de réformes législatives, je peux vous affirmer qu’il est aujourd’hui devenu impossible pour un parlementaire de savoir ce qu’il a voté la semaine précédente, si bien que le seul programme politique cohérent et utile pour le 5 ans à venir pourrait être de ne faire qu’une seule chose : Délégiférer.
Si quelqu’un parmi vous a déjà créé une société, une association, un emploi, contracté un crédit, importé ou exporté des produits manufacturés, demandé un permis de construire, demandé des subventions, fait une donation, cultivé une terre, élevé des bêtes ou simplement porté plainte, alors vous savez que notre hyperstructure est devenue une hydre à cent têtes et mille pattes… ou plutôt 11 000 lois, 130 000 décrets, 7 500 traités et 20 000 textes communautaires.
Or c’est sur cette montagne-là que viennent s’échouer l’innovation, la création et souvent l’enthousiasme des Français, quand ils tentent d’en tirer un mouvement. Recréer les conditions objectives d’un espace de liberté devrait être un enjeu majeur des dix ans à venir. Pour cela, la classe politique en place doit accepter par une série de mesures fortes de redonner une vraie respiration à notre pays, par le renouvellement de ses cadres, la clarification des processus de génération des décisions et par la recherche de l’efficacité de l’appareil administratif central au travers de la simplification de son fonctionnement.
Dans son discours de novembre 1959 à l’ENA, de Gaulle dira : "Et nous vivons à l’époque des machines, où l’efficacité, la concentration, la vitesse sont des conditions indispensables à toute entreprise et à tout rendement. Elles sont les conditions du fonctionnement de l’État."
La performance réside avant tout dans la capacité de chaque modèle à se remettre en question. Pour cela, il faut abandonner les certitudes qui sont autant de servitudes. Le temps est venu que nos élites acceptent leur propre remise en question de manière à permettre la remise en question pacifique de notre modèle national de gouvernance. Sans cela, la rupture ne sera plus un mot de campagne électorale, mais une réalité qui pourrait se matérialiser par la rue ou par une nouvelle montée des extrêmes en France.