ENTRETIEN EXCLUSIF Le laboratoire pharmaceutique Sanofi a annoncé jeudi 27 septembre 2012 une prochaine restructuration. Cette réorganisation se traduit en France par 900 postes supprimés d'ici à 2015. Pour Christian Lajoux, président du syndicat des entreprises du médicament (Leem), mais aussi président de Sanofi-France, ce plan s'inscrit dans une nécessaire adaptation à de nouveaux enjeux du secteur pharmaceutique.
L'Usine Nouvelle - Les 900 suppressions de postes de Sanofi font la une des journaux. Comprenez-vous qu’il y a une incompréhension de l’opinion publique alors que le secteur se porte encore bien ?
Christian Lajoux - Dans l’industrie du médicament, on est toujours dans l’émotion. Il faut reprendre des éléments concrets. Par exemple, quelle est l’entreprise française qui a neuf grands centres de recherche en France comme nous ?
EDF, PSA, Renault, Airbus… ?
Ce sont des entreprises auxquelles on se compare. Et nous ne voulons pas devenir PSA. Le problème de ce groupe, c’est qu’il avait une grande partie de sa fabrication sur le territoire français, et il a manqué le virage de la compétitivité au niveau international. Alors que Sanofi est une machine à faire de la recherche en France pour l’international.
Cependant, il est vrai qu'aucune des 47 molécules autorisées l’année dernière en Europe n’est venue de Sanofi. C’est pourquoi le laboratoire se réorganise. Et finalement, 900 suppressions de postes d’ici 2015, c’est moins de 3% de nos salariés, ce qui veut dire moins de 1% par an !
Mais vous comprenez quand même que, pour une entreprise qui réalise plus de 5 milliards d’euros de bénéfices, cela peut paraître incompréhensible !
Les dividendes sont le résultat d’un cycle passé. Nous vivions sur des acquis. Nous vivons sur la fin du cycle des blockbusters, comme le Lipitor, le Plavix, les grandes molécules en psychiatrie, qui commencent seulement à être génériqués depuis cinq ans. Et maintenant, l'industrie pharmaceutique doit changer.
Elle doit produire des médicaments beaucoup plus adaptés à une médecine personnalisée, individualisée : c’est le nouvel enjeu de notre industrie. Sanofi s'est lancé depuis trois à quatre ans, et nous fournirons des médicaments d’ici trois à cinq ans. Car il faut huit à dix ans pour mettre au point de nouvelles molécules.
L’outil industriel est-il adapté à cette stratégie ?
Il faut adapter l’appareil productif aux trois domaine de demain. Le vaccin tout d’abord. Et nous allons rester un grand pays du vaccin avec quatre grands sites, car Sanofi investit 350 millions d’euros dans une usine à Neuville sur Saône qui produira un vaccin contre la dengue uniquement destiné à l’exportation. Je vous assure que le gouvernement de Singapour nous aurait donné les 350 millions pour que nous allions nous installer là-bas !
C’est cela, une entreprise qui a le sens de la responsabilité nationale. Il faut aussi que nous devenions un grand pays du générique, car aujourd’hui c’est une faiblesse de notre système. On dit qu’un générique sur deux est fabriqué sur le territoire français… je pense plutôt qu’un générique sur deux y est conditionné.
La troisième voie est la biotechnologie, avec les anticorps monoclonaux. C’est une opportunité essentielle mais nous sommes très en retard, car il semblerait que la production biotechnologique se développe là où on fait de la recherche sur les biotechs. Or nous avons très peu de grands centres de recherche dans ce domaine.
Certains scénarios prévoient la disparition de 35 000 postes dans la pharmacie d’ici à 2020. Cette nouvelle médecine va-t-elle créer des emplois ou continuer à en détruire ?
On la croyait en excellente santé. Mais depuis un an, l’industrie pharmaceutique multiplie les suppressions d’emplois. Le symptôme d’un mal-être profond, provoqué par les mutations du secteur et un appareil productif à moderniser. Retrouvez dans L'Usine Nouvelle du 4 octobre 2012, notre diagnostic et huit traitements à prescrire pour soigner ce secteur mal en point. Huit pages spéciales.
J'ai des chiffres qui ont de quoi faire frémir. En 2011, il y a eu 47 nouvelles molécules autorisées en Europe. Aucun de ces produits n’est fabriqué en France ! Pire. Selon un de mes collègues du Leem, les seuls médicaments fabriqués sur notre territoire datent même d’avant 2005.
Pourquoi ce retrait de production en France ?
Les industriels internationaux vont choisir d’investir dans les pays les plus attractifs. La question du coût du travail n’est pas essentielle dans notre industrie. Ce qui fait l’attractivité d’un pays, c’est la réglementation, les taxes, les contraintes environnementales : il faut les respecter, mais le principe de précaution, tel qu’il est développé en France, coûte cher. Il y a aussi la mauvaise image que l’on donne ici de cette industrie. Et le marché pharmaceutique français est entré en récession.
Car nous étions un pays surmédicalisé ?
Ce n’est pas vrai. L’OCDE le démontre : le prix du médicament et sa consommation ne sont pas plus élevés en France qu’ailleurs. Cela fait plus de dix ans que nous ne sommes plus les champions du monde par classe thérapeutique ! Nous sommes entrés en récession car l’an dernier, lors du PLFSS 2012, un milliard d’euros de mesures sur le médicament ont été votées : baisses de prix, déremboursements, montée en puissance du générique. C’est 500 millions de plus que les années précédentes. Or un point de croissance de l’industrie du médicament équivaut à 250 millions d’euros. Nous allons vers un niveau de décroissance de deux points.
Qu’attendez-vous de l’Etat ?
Nous lui demandons des choses extrêmement simples : relancer la politique conventionnelle et relancer le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Qu’ils l’appellent comme ils veulent, mais c’était un lieu informel et efficace de rencontres entre les industriels, l’Etat et l’administration. Le dernier a eu lieu en janvier dernier. Le PLFSS est dans une stratégie opportuniste immédiate : il faut trouver des rendements.
Le CSIS a une vision à cinq à dix ans. Il a permis de mettre en place le fonds Innobio, les pôles de compétitivité - certains marchent bien, d’autres moins-, le Crédit Impôt Recherche dont on se réjouit fortement, mais aussi de faire qu’il y ait une coopération étroite entre les académiques et les industriels.
Ce que je dis à Jérôme Cahuzac et Marisol Touraine actuellement, c’est : relancez la machine ! Nous demandons simplement d’avoir un lieu de débat sur les conditions d’attractivité, pour faire en sorte qu’on dispose d’un environnement qui invite les industriels internationaux à investir en France plutôt que dans d’autres pays.