GOUVERNANCE
L'industrie et les fonds ont largement recours à ce « dirigeant prêt à l'emploi ». Appelé à gérer une situation de crise, il est DRH, directeur général ou financier.
Longtemps, les missions dites de « continuité des opérations » ont fait les beaux jours du management de transition.Il s'agissait alors de remplacer poste pour poste un DRH, un directeur financier ou un directeur général durant son absence ou dans l'attente d'un recrutement. Aujourd'hui, ce profil est appelé, pour une durée définie, à gérer quantité de situations exceptionnelles. 30 % des missions portent sur des gestions de projet : à défaut de compétences mobilisables en interne, un profil ad hoc mène à bien une opération de fusion-acquisition, l'ouverture d'une filiale ou d'une usine, la mise en place d'un nouveau système d'information ou de gestion de paie. 30 % concernent la conduite du changement : restructuration, redressement, réorganisation de la gouvernance, cession d'activité, refonte de la stratégie. Et le tiers restant de l'intérim. En France, le marché est timide, estimé à 300 millions d'euros par an contre 1 milliard en Allemagne et 3 milliards au Royaume-Uni. L'investissement reste, il est vrai, important avec des honoraires de 1.200 euros par jour qui peuvent cependant sauver une activité ou une entreprise tout entière.
Le profil de l'emploi
Sur la description du manager de transition idéal, tous les interlocuteurs se rejoignent : un expert ayant déjà relevé des défis similaires. Tous parlent de profil« surdimensionné », ce qui permet « de minimiser les risques d'échec et de s'assurer que le dirigeant fera face à tous les couacs et imprévus », détaille Stéphanie Sabau Gaye, directeur chez Michael Page Interim Management. « Cela évite aussi à l'entreprise de vouloir conserver la perle rare, laquelle s'ennuierait vite dans la routine de l'après-mission », souligne Marc Laigret, gérant de Transitio qui ajoute que l'hyperflexibilité est un préalable : « Les missions se montent en quelques jours. La faculté d'adaptation doit être plus rapide que celle de la lumière. » L'oiseau rare doit aussi être mobile, adaptable et mentalement fort.
Beaucoup de seniors
En moyenne, le manager de transition est un homme d'une cinquantaine d'années, voire plus, rarement moins, puisque c'est dans le « top management », au niveau du comité de direction, que les projets sont menés. L'afflux de quinquagénaires avec des CV béton a d'ailleurs contribué à anoblir le métier : barrés par leur âge en entreprise, ils s'y recyclent avec une parole précieuse car libre, déconnectée des jeux de pouvoir et des plans de carrière.
Fonction multifacette
Choisi pour une mission courte - neuf mois en moyenne -, le manager de transition n'est pas une marionnette. Pierre van den Broek, aujourd'hui président de l'Association française du management de transition (AFMDT), se remémore le cas d'une entreprise familiale qui souhaitait le faire intervenir « entre deux frères en guerre, chacun planqué dans une tranchée pour régler des litiges ancestraux. J'ai évidemment décliné. On ne peux tout nous demander » ! Sur la nature du métier, tous n'ont pas la même analyse. Selon Patrick Laredo, président de X-PM Transition Partners, « c'est un métier d'exécution. Un client souhaitant ouvrir une usine en Inde obtiendra de nous le meilleur "pro" pour ce projet, même si nous pensons que le choix de la Turquie serait plus judicieux ». Philippe Soullier, président de Valtus Transition, a une vision radicalement différente, plus proche du conseil : « Nous avons un devoir d'honnêteté et de recommandation vis-à-vis du client, sans quoi la mission n'a pas de sens. »
Qui fait le diagnostic ?
Selon Marc Laigret, dont les clients sont en majorité des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), « le client a sa vision des choses, ce qui implique de refaire un état des lieux une fois dans les murs pour cadrer la mission ». Philippe Soullier, consulté par des entreprises de taille intermédiaire, confie « se baser sur les fondamentaux du bilan afin de dresser un premier plan stratégique, réajusté ensuite avec le client et le manager ». Frédéric Marquette, associé d'EIM, le plus vieux cabinet de la place, utilisé comme benchmark par ses pairs, a la confiance des grandes entreprises. Avec 40 % de missions de remplacement de direction générale, il a peu de process : « C'est du sur-mesure cas par cas. Pour un fonds, cela peut être du diagnostic pur sans mise en oeuvre ou encore du "restructuring" avec l'installation d'une équipe orchestrée par des associés. S'il s'agit du remplacement d'un grand patron, il prend évidemment lui-même les décisions. »
Le risque du casting
En « back up », pour donner toutes ses chances à la mission, chacun a ses méthodes : la construction d'un binôme en appui sur de régulières « business reviews », des réunions tripartites entre le donneur d'ordre, l'intermédiaire et le manager réévaluant régulièrement les actions, etc. Outre la faute de casting, des erreurs comportementales peuvent enrayer une mission. Pour les éviter, Philippe Soullier a construit un programme d'excellence destiné à « donner l'esprit du job. Les dix premiers jours d'une mission sont clefs ; il ne faut pas rater le coche, ni se présenter en sauveur ni comme un coupeur de coûts ».
L'obsession de la performance
En filigrane, à chaque fois, perce la recherche de rentabilité : « On visse les boulons, même quand il s'agit de remplacer au pied levé un responsable. Il y a toujours des marges de progrès », confie Marc Laigret. L'an dernier, Helen Lee Bouygues a monté une structure sur le segment ultra-étroit du conseil en réorganisation opérationnelle :« Mes clients, les fonds d'investissement, me sollicitent pour des missions de réduction de coûts et d'amélioration de l'ebitda. Les PME ont besoin de résultats chiffrés à très court terme. »